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dimanche 6 avril 2014

En finir avec Eddy Bellegueule, par Édouard Louis

 

Quatrième de couverture: « Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici. »
 En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.

Mon avis: C'est un ouvrage qui m'embête fortement. Il a quelques bons passages mais il a le goût d'inachevé, non pas d'un livre en attente d'une suite, ce qu'il est naturellement, mais un livre à l'état d'esquisse, de notes. La première partie n'est pas bonne, plutôt caricaturale, invraisemblable — ce qui n'empêche pas qu'elle puisse avoir des passages véridiques voire être totalement véridique, mais les faits sont si grossiers qu'ils paraissent être issus d'une mauvaise série télé. Quelques figures de style banales plus tard, on s'ennuie entre deux débuts de réflexions sociologiques, là aussi caricaturales. Déterminisme social; Même Zeus n'échappe pas à son destin; violence de classe, classe sociale, tout est à gros traits, sans nuance, sans même un approfondissement car le narrateur délivre une vérité, à ses yeux dirons-nous.
Cependant, la deuxième partie du livre a quelques moments très intéressants. « Jouer aux homosexuels était une façon pour eux de montrer qu'ils ne l'étaient pas. Il fallait n'être pas pédé pour pouvoir jouer à l'être. » En soi, Édouard Louis ne nous dévoile pas un mystère de l'univers, c'est même un extrait assez commun, mais il est bien amené, et ce chapitre, Le Hangar, est vraiment réussi, comme d'autres passages de ce livre, notamment p.163 où le narrateur ne comprend pas vraiment pourquoi il est moqué et non son cousin et se demande si le plus grave n'est pas plutôt d'avoir l'air homosexuel que de l'être. Mais mon moment préféré se trouve dans l'épilogue, p.218, que je ne citerai pas car il comprend à peu près toute la page et nous pousse à revoir, éventuellement, le début de l'histoire. Sommes-nous vraiment dans la caricature du pauvre villageois par l'auteur ou sommes-nous dans la caricature créée par un narrateur qui s'oppose à des comportements en les grossissant, comme il affirme agir à l'inverse de son père, car le comportement d'Eddy s'éclaire sous celui des bourgeois qui auraient des manières d'être proches; en se construisant en opposition au père, Eddy pourrait se construire en usant d'un comportement bourgeois, réflexion qu'il se fait, puisque l'auteur, nous le voyons, semble opposer de manière irréductible deux classes sociales, le prolétariat et la bourgeoisie (ce qui aurait pu être fait avec plus de finesse et quelques arguments). Ainsi, s'il est à l'esprit des villageois, un pédé, au sens le plus déformé c'est-à-dire imaginaire du terme, les villageois sont peut-être eux aussi devenu, en opposition à Eddy, des caricatures sous la plume du narrateur.
C'est donc un livre qui peut faire réfléchir, où l'on peut divaguer comme je divague plus haut, mais qui reste encore trop faible au niveau des incursions sociologiques trop péremptoires, du style qui est fade, et qui mériterait davantage de construction et de réécriture à mon sens pour donner plus de relief au tout. Cependant, je ne suis pas obtus; quand bien même n'ai-je pas été emballé par ce roman, je lirai le suivant d'Édouard Louis, pour me faire une idée précise et voir s'il y a des changements (et parce que je n'ai pas détesté le livre non plus!).
 

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