Quatrième
de couverture:
« Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire
Qu'est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je
refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais
plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs
et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins
de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit
fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici. »
En
vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe
sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car
avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon
enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les
autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que
de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.
Mon avis: C'est un ouvrage qui
m'embête fortement. Il a quelques bons passages mais il a le goût d'inachevé,
non pas d'un livre en attente d'une suite, ce qu'il est naturellement, mais un
livre à l'état d'esquisse, de notes. La première partie n'est pas bonne, plutôt
caricaturale, invraisemblable — ce qui n'empêche pas qu'elle puisse avoir des
passages véridiques voire être totalement véridique, mais les faits sont si
grossiers qu'ils paraissent être issus d'une mauvaise série télé. Quelques
figures de style banales plus tard, on s'ennuie entre deux débuts de réflexions
sociologiques, là aussi caricaturales. Déterminisme social; Même Zeus n'échappe pas à son destin;
violence de classe, classe sociale, tout est à gros traits, sans nuance, sans
même un approfondissement car le narrateur délivre une vérité, à ses yeux
dirons-nous.
Cependant, la deuxième partie du livre a
quelques moments très intéressants. « Jouer aux homosexuels était une façon
pour eux de montrer qu'ils ne l'étaient pas. Il fallait n'être pas pédé pour
pouvoir jouer à l'être. » En soi, Édouard Louis ne nous dévoile pas un mystère
de l'univers, c'est même un extrait assez commun, mais il est bien amené, et ce
chapitre, Le Hangar, est vraiment
réussi, comme d'autres passages de ce livre, notamment p.163 où le narrateur ne
comprend pas vraiment pourquoi il est moqué et non son cousin et se demande si
le plus grave n'est pas plutôt d'avoir l'air homosexuel que de l'être. Mais mon
moment préféré se trouve dans l'épilogue, p.218, que je ne citerai pas car il
comprend à peu près toute la page et nous pousse à revoir, éventuellement, le
début de l'histoire. Sommes-nous vraiment dans la caricature du pauvre
villageois par l'auteur ou sommes-nous dans la caricature créée par un
narrateur qui s'oppose à des comportements en les grossissant, comme il affirme
agir à l'inverse de son père, car le comportement d'Eddy s'éclaire sous celui
des bourgeois qui auraient des
manières d'être proches; en se construisant en opposition au père, Eddy
pourrait se construire en usant d'un comportement bourgeois, réflexion qu'il se
fait, puisque l'auteur, nous le voyons, semble opposer de manière irréductible
deux classes sociales, le prolétariat et la bourgeoisie (ce qui aurait pu être
fait avec plus de finesse et quelques arguments). Ainsi, s'il est à l'esprit
des villageois, un pédé, au sens le
plus déformé c'est-à-dire imaginaire du terme, les villageois sont peut-être
eux aussi devenu, en opposition à Eddy, des caricatures sous la plume du
narrateur.
C'est donc un livre qui peut faire réfléchir,
où l'on peut divaguer comme je divague plus haut, mais qui reste encore trop
faible au niveau des incursions sociologiques trop péremptoires, du style qui
est fade, et qui mériterait davantage de construction et de réécriture à mon
sens pour donner plus de relief au tout. Cependant, je ne suis pas obtus; quand
bien même n'ai-je pas été emballé par ce roman, je lirai le suivant d'Édouard
Louis, pour me faire une idée précise et voir s'il y a des changements (et
parce que je n'ai pas détesté le livre non plus!).
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